3. Les armoiries des von Geudertheim

À l’instar des autres familles nobles, la famille von Geudertheim, qui posséda entre autres un château de terre et de bois (motte castrale) et une ferme seigneuriale dans le village, portait donc des armoiries. La famille comporta au moins trois branches semble-t-il effectivement liées familialement, dont l’une installée à Rosheim et Dorlisheim (dont les couleurs des armoiries sont ignorées car on ne connaît qu’un sceau de cire qui les montre) et une autre installée à Strasbourg puis Outre-Rhin (pour laquelle les couleurs de l’écu sont par contre connues).

                             

Les armoiries des von Geudertheim de Rosheim/Dorlisheim (à gauche)
et de ceux de Strasbourg (à droite).

 

La branche principale de la famille, celle installée au château de Geudertheim (selon plusieurs indices probablement situé dans le Weyergarten, à l’arrière de l’actuelle église catholique) possédait quant à elle des armoiries qui sont celles attribuées à la commune en 1950, et qui se blasonnaient de la façon suivante : « D’or à un lion de gueules, parti d’azur à une aigle d’argent ».

En clair, un écu coupé (verticalement) en deux, d’un côté un lion rouge sur fond jaune, et de l’autre une demie aigle d’argent sur fond bleu. Ci-après le sceau d’un von Geudertheim tel que conservé aux Archives Municipales de Strasbourg2.

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Le dessinateur alsacien Jean-Jacques WALTZ, alias Hansi, qui se passionna pour l’héraldique, nota dans son Art héraldique en Alsace (3 tomes parus entre 1938 et 1949) que « dans les anciens armoriaux, on ne trouve que très peu d’armes qui semblent composées de deux blasons différents. L’écu est alors ‘parti’, c’est-à-dire partagé au milieu d’un trait vertical, et les figures symétriques comme l’aigle sont coupées de même. Les armes des Geudertheim sont un bel exemple de ces très anciennes associations d’armes ».

Nous reviendrons plus loin sur d’autres armoiries analogues, mais plus récentes.

Mais il faut surtout évoquer un point curieux concernant les armoiries des von Geudertheim : le fait que celles-ci associent à la fois l’aigle et le lion, deux animaux « concurrents ».

Le lion est le roi des animaux terrestres, symbole de puissance et de vigueur, mais aussi de résurrection : dans l’imaginaire de l’époque, le lion donnait la vie en soufflant sur ses petits qui naissaient sans vie, ce qui n’est pas loin du symbolisme christique. Mais l’aigle est de son côté également un symbole de force et de majesté (n’est-il pas le seul capable de regarder le soleil en face ?). Roi des animaux aériens, il rejoint également la symbolique
chrétienne : il s’attaque aux serpents, représentation du Mal, et monte au plus haut du ciel, comme le Christ lors de l’Ascension…

Cependant, en matière d’héraldique, la prédominance du lion est énorme : « Le lion est de très loin la figure héraldique la plus fréquente dans les armoiries médiévales. Plus de 15 % en sont chargées. C'est là une proportion considérable puisque la figure qui vient en seconde position, la fasce [une bande horizontale occupant le milieu de l'écu], n'atteint pas les 6 %, et que l'aigle, seul rival du lion dans le bestiaire héraldique, ne dépasse pas les 3 %. Cette primauté du lion se retrouve partout : au 12e siècle comme au 15e, dans l'Europe du Nord comme dans l'Europe méridionale, dans les armoiries nobles comme dans les armoiries non nobles, dans les armoiries des personnes physiques comme dans celles des personnes morales, dans l'héraldique véritable comme dans l'héraldique imaginaire. (…) Au reste, on observe que, mis à part l'empereur et le roi de France, tous les dynastes de la Chrétienté occidentale ont, à un moment ou à un autre de leur histoire, porté un lion dans leurs armoiries. À ce tableau d'ensemble il faut évidemment apporter des nuances géographiques et chronologiques. C'est en Flandre et dans l'ensemble des Pays-Bas que les lions sont les plus nombreux ; dans les régions alpestres - et d'une manière générale dans les zones de montagne - qu'ils sont les moins fréquents. D'autre part, entre le 12e et le 16e siècle, l'indice de fréquence moyen du lion est partout en régression. Mais cela est dû à la diversification de plus en plus grande du répertoire des figures héraldiques et non pas, loin s'en faut, à un recul en nombre absolu. Partout le lion conserve la première place. »3

Cette vogue du lion dans l’héraldique au Moyen Âge est relativement mal expliquée. Concernant son origine, l’historien Michel Pastoureau souligne le rôle probable – mais plus
« morphologique que sémantique », c’est-à-dire plus esthétique que symbolique – « joué par les tissus et par les objets d'art, régulièrement importés d'Espagne et d'Orient, et sur lesquels des lions sont fréquemment représentés (et souvent dans des attitudes quasi héraldiques) ».

 


 

2 Retrouvé par Bernhard METZ, archiviste, que nous remercions chaleureusement.

3 Michel PASTOUREAU, « Quel est le roi des animaux ? ». In: Actes des congrès de la Société des historiens médiévistes de l'enseignement supérieur public. 15e congrès, Toulouse, 1984. p. 133-142.

 

 

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